Un mois de voyage, des heures de préparation en amont, un équipage qui joue et crée au gré du vent, un synthétiseur dans la douche, une cinquantaine de cartes de visite en tampons linogravés, une contrebasse toujours au milieu du passage, deux enceinte aux aimants trop puissants qui dérèglent les compas, 6 ascensions à 15 mètres de haut pour répare le feu de mat (deux fusibles grillés au passage), une veste moisie par l’humidité omniprésente du bateau, quelques répétitions à l’étroit, quelques coups durs et d’autres mous, une compréhension de l’espagnol approximative, 28 quarts de nuit de 3 heures à deux, une quarantaine de dauphins, quelques bateaux mystères sans signal AIS, deux saxophones, un violon et un trombone bien attachés surtout au près, pas beaucoup de nourriture végétarienne en Asturies, un vieux restaurateur amoureu des musiciens, un photographe soigné par la musique, 10 heures sous trinquette, 30 sous spi et une soixantaine sous genoa, un enregistrement dans un studio à la Corogne, des houles vomitives venant du Mexique, John Coltrane qui abandonne le navire, une fatigue qui tient compagnie, des mouillages plus ou moins bien abrités, deux plongeurs et huit poissons, un concert sans public, Aida (un immeuble sur mer avec deux toboggans et huit jacuzzis), des heures à étudier des chiers météo, deux requins végétariens, une dizaine de concerts de rue devant un public surpris du swing chantant dans l’écho des rues, du plancton luminescent dans la cuvette des toilettes, une horde de bateaux de pêche bravant la nuit et le froid, des voicings a cappella sur « how high de moon » pour rester réveillées en quart, une cuve de 400 litres d’eau et 12 bouteilles en plastique recyclées re-remplies à l’infini, 2 concerts de bars, deux tableaux sur toile de voile et cadre de hublot, cinq musicien.ne.s, cinq matelot.e.s, 4 fumeureuses (qui vont bientôt arrêter), une non-fumeuse qui l’est restée et qui compense avec les chips, des êtres sensibles qui cohabitent dans une attention bienveillante permanente, et à qui vous pouvez demander de vous conter les histoires de la Limule à travers le golfe de Gascogne lors d’un mois d’avril brumeux.
Extrait du Journal Viva La Musica, juin 2022